"C'est ainsi que, par un partage de rôles au sein de l'opinion publique, on peut juger désormais socialisant et progressiste, un discours capitaliste "libéral".
"Ce n'est pas la politique économique, en elle-même, qui garantit la croissance mais bien l'interaction entre de nombreux et divers facteurs, qui vont des institutions politiques, jusqu'à la qualité des partenaires extérieurs, en passant par la variation d'une période à une autre".
Ahmed Benzelikha
Lettre à un « Alter-mondialiste », postface
Par Ahmed BENZELIKHA*
M. Guy Verhofstadt, premier Ministre de Belgique,
vient de publier une lettre ouverte dans un
quotidien algérien, dans laquelle il appelle
à un débat autour de la mondialisation,
notamment à l’initiative de l’Union Européenne,
en interpellant l’opinion publique de celle-ci.
Qu’il nous soit permis, ici, de participer au débat, à partir d’une province de la province que peut-être un pays du tiers-monde pour nos très lointains voisins industrialisés.
C’est Chateaubriand qui disait que « toute révolution qui n’est pas accomplie dans les mœurs et les idées échoue », et c’est bien de révolution qu’il s’agit quand les peuples sont appelés à s’unir autour du commerce. Celui-ci, censé promouvoir des valeurs de progrès et de bien être, comme tend à le souligner M. Verhofstadt, en évoquant l’exemple des pays asiatiques.
M. le Premier Ministre du Royaume de Belgique, pense accomplir cette révolution dans les mœurs et dans les idées, en soumettant au débat certaine de ses idées.
Toutefois ces dernières, pour être véritablement débattues, gagneraient à être identifiées quand à leur origine idéologique, d’une part et d’autre part, à ne pas constituer, en dernier ressort, que des instruments d’application plus ou moins relatifs, d’un absolu : la mondialisation.
Cet absolu de la mondialisation, du marché et du libre-échange quand à lui, n’est à aucun moment remis en cause ; il est immanent dans la démonstration de M. Verhofstadt, qui n’examine que les voies et moyens d’application et donc, de généralisation de ce principe premier, présenté comme indiscutable.
Ce qui est éminemment idéologique comme position. Position qui se devine « Libérale » au sens anglo-saxon, à travers une production discursive rappelant l’argumentation justificative des gauches sociaux-démocrates, à l’instar de « la gauche caviar » en France.
C’est ainsi que par un partage des rôles au sein de l’opinion publique, et progressiste un discours capitaliste « Libéral ».
M. Verhofstadt n’ayant à aucun moment explicité ses présupposés idéologiques, nous ne nous attarderons pas outre mesure sur cet aspect, pourtant fondamental dans la confrontation pro et anti-mondialisation et surtout pas astreint au seul second camp, comme tendent qui lavent de toute idéologique les pseudo-évidences des pro-mondialistes, dont M. Verhofstadt fait partie intégrante, malgré son indiscutable humanisme à titre personnel.
Une des valeurs clés sur lesquelles, au nom de l’humanisme, nous pouvons nous entendre avec M. Verhofstadt, est celle de la démocratie. Cette intelligence nous permet de l’interpeller, du bas de notre tiers état, pour lui signifier la réalité d’un rapport de force non-démocratique, à l’avantage de sa position bien sûr, au nom duquel nous sommes sommés de consentir à un système, auquel nous nous sommes, par la force des choses et de nos gouvernants, déjà pliés.
Peut-on parler d’un débat, alors qu’à aucun moment nous n’avons été partie prenante dans les choix premiers de celui-ci ? C’est à une « Constituante » qu’il faut appeler et non pas à l’aval d’un système en fait accompli.
Peut-on parler de démocratie, alors qu’une partie du monde contrôle une autre partie, via la structuration, par la première, de l’économie mondiale et par la menace ou la force militaire ?
Peut-on parler de démocratie, alors qu’une partie du monde laisse cyniquement sombrer l’autre dans la pauvreté et la dictature, en incriminant soir des peuples « masochistes », soit dirigeants dictariaux, quand ceux-là sont moins véreux qu’indociles ?
Peut-on parler de démocratie quand les circuits de coopération sont semés d’embûches, tant dans une partie du monde que dans l’autre, tant au niveau des gouvernementd que des organisations non-gouvernementales, tant au niveau d’un discours humiliant pour des pauvres, certes, mais qui sont aussi, on l’oublie souvent, des personnes dignes et bien plus instruites que ne peut le traduire, aux yeux de certains, leur nationalité, que tant au niveau des pratiques bureaucratiques, démagogiques ou, au plan de la gestion, peu fiables ?
Peut-on parler, dans ce cas et de part et d’autre, de représentativité des intervenants et donc de l’efficacité d’une politique, si tant que cette politique est sincère et ne serve pas d’alibi philanthropique à la mode victorienne ?
Peut-on parler de démocratie, quand la circulation des personnes est régentée de manière draconienne, avec pour seul enjeu l’obsession sécuritaire, « Grand méchant loup » des opinions publiques des sociétés nanties ?
Peut-on parler de démocratie, quand l’individu est réduit à une force de travail, un tube digestif et un sexe ? Alors que sa culture est réduite à un show télévisé, son esprit critique à deviner le prix d’un produit et sa religion à de l’ingrisme, pour peu qu’elle se refuse à sa propre déification et se pose en alternative a ce système.
« Comparaison n’est pas raison » ; ainsi, avancer, comme le fait M. Verhofstadt, que les pays asiatiques ont eu à connaître un développement humain grâce à la croissance économique, en faisant fi d’autres conditions, nous semble péremptoire, comme toute consécration de panacée, car on ne peut faire l’impasse sur d’autres éléments d’ordre social, politique, historique, géographique et culturel, tant à l’échelle des réalités intérieures, elles-mêmes en constante évolution, qu’à l’échelle du traitement extérieur dont bénéficie tel ou tel pays, telle ou telle zone.
Ainsi, ce n’est pas la politique économique en elle-même qui garantis la croissance mais bien l’interaction entre de nombreux et divers facteurs, qui vont des institutions politiques jusqu’à la qualité des partenaires extérieurs, en passant par la variation d’une période à une autre.
De ce fait, il ne peut y avoir de standard préétabli, d’une part et d’autre part, il n’est jamais de résultats assurés d’avance, au niveau aussi bien synchronique que diachronique (pour emprunter à la linguistique).
Il est alors clair que toute démarche appelée à s’inscrire dans une dynamique aléatoire, ne peut être qu’une démarche participative fondée sur le débat, la confrontation des idées et des propositions.
A ce titre et à nos yeux, la première proposition, parfaitement idéologique, est de camper sur des positions, en termes de moyens d’action, minoritaires, en remettant en cause l’ensemble du système, dont peu à peu nous sommes tous, y compris ses plus chauds partisans, devenus esclaves.
La seconde, plus réaliste, « plus alter-mondialiste », aussi et qui peut rejoindre celles avancées par M. Verhofstadt, est d’agir DE CONCERT pour réformer, progressivement, le système inique en place.
Cette réforme progressive nous semble passer par trois axes :
- La coopération : concertation, intégration régionale et inter-régionale, encouragement des classes moyennes, émergence des élites et libre circulation des personnes.
- Le débat sur la réforme systémique : une nouvelle conceptualisation, ne dynamique de réajustement à l’échelle mondiale, en vue d’une plus grande justice et d’une mondialisation à la carte avec, pour objectifs, la conception et l’adaptation de circuits parallèles, de modèles alternatifs mondiaux qui coexisteraient selon les choix des groupes et les options des individus, pour tel ou tel circuit.
- Le découragement de l’émergence et de la pérennisation des pratiques maffieuses, de la corruption et de l’arbitraire.
Autant d’axes à développer au fur et à mesure de l’élargissement du débat et des… luttes sociopolitiques à inéluctablement mener, tant sur le plan national, en ce qui concerne chaque pays, que sur le plan international.
A.B.
* Intellectuel algérien.